Chroniques


Le Jeu vidéo et la Mort

Rédigé par Jarps       dans  Lugeekosophie       20 Avril 2014

Bonjour à tous. Je suis Professeur Jarps, spécialiste non certifié de la philosophie de comptoir et je serais votre enseignant de philosophie appliquée aux jeux vidéo, plus communément appelée Lugeekosophie. Parce que c’est ludique, qu’on parle de philo’, et que j’avais envie de mettre le mot “geek” dedans par simple trip personnel. Des questions ? Non ? De toute façon je n’y répondrais pas.
Pour un premier opus de cette nouvelle chronique, on commence avec du très joyeux, du comique, du léger, du pas glauque du tout. On va se pencher sur La Mort.

Ouvrez vos livres pages 666 (on reste dans le thème), et sortez de quoi prendre des notes, on ne sait jamais sur quoi portera la prochaine interro.

Rien que dans le nom de notre beau site, nous avons intégré, embrassé, cette idée morbide de la Mort : Le Game Over. Le jeu vidéo a, depuis ses origines, instigué dans nos esprits l’idée d’une fin de partie signifiée par la mort de notre personnage, puis le respawn. Un tas de pixel sanguinolent, une chute sans fin, un écran noir avec un message sinistre… Vous êtes morts des milliers de fois, de manières plus ou moins horribles. Et pourtant, vous en redemandez !

Street_Fighter_Zero_2_Alpha_-_1996_-_Capcom

La Religion, au sens large du terme, a pour principal intérêt (du moins lors de son apparition dans l’Histoire de l’Humanité) le sous-entendu d’une vie après la mort. Les égyptiens passaient dans les mains de Anubis avant de rejoindre le royaume d’Osiris, les bouddhistes se retrouvent autour d’une logique de réincarnation alors que l’islam, le christianisme et les autres religions monothéistes promettaient un paradis divin après votre trépas (ou un enfer éternel pour les vilains pas beaux !). Tous se réfugiaient derrière l’idée que leur vie se sera pas vaine puisqu’une entité divine prendra grand soin d’eux une fois leur dernier souffle rendu.
Et puis mon bon ami Friedrich Nietzsche (1844-1900. Il est mort fou le pauvre, allez savoir pourquoi !) est passé par là, avec une citation restée célèbre :
« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! »
Et le jeu vidéo a violé son cadavre, cent ans après ! Banalisant la mort d’une façon ludique, le jeu vidéo a surtout brisé cette image d’état éternel en vous offrant, à l’image de Dieu (ou Allah, ou Bouddha.. oh et puis m**** ! Appelez-le comme vous voulez !), une vie après la mort.
Puis une autre. Et encore une autre.

Dédramatisant totalement cette peur terrible qui tenaillait l’être humain depuis la nuit des temps, les jeux vidéo nous ont offert un exutoire de premier choix en nous mettant quotidiennement face à notre fléau tout en prônant ce crédo : « La mort ce n’est pas grave, tu respawn et tu recommence ! ». Illusion salvatrice jusqu’à l’heure de notre trépas, ce « Restart » remplace plus ou moins légitimement l’espoir quotidien d’un paradis pour bonne conduite, d’une façon plus ou moins inavouée. Satisfait de cette possibilité d’entrevoir la Mort sans pour autant l’expérimenté soi-même, l’Humain se libère, temporairement débarrassé de la peur qui l’enchaine, sans avoir cette fois-ci la menace d’une éternelle souffrance en cas de mauvaises actions. Pour faire simple, le respawn remplace subtilement dans votre esprit l’idée d’un paradis après la mort, sans jamais évoquer l’enfer…

Et si, contrairement aux idées reçues de certains ignares, le joueur SAIT que dans la vrai vie, c’est différent, qu’il n’y a pas de deuxième chance après la mort, il garde cependant, quelque part au fond de son âme, le discret désir que toute cette mascarade qu’est la vie ne soit qu’un jeu, avec la possibilité de recommencer, d’effacer nos regrets et nos erreurs, tout comme chaque croyant de chaque religion porte en lui le désir de ne pas avoir prier pour rien et qu’il y ait pour lui, quelque part, le droit de continuer son aventure. De par son respawn infini, le jeu vidéo est donc vis-à-vis des humains un porteur d’espoir subtil, illusoire mais salvateur, à la fois cruel et bénéfique.

mass_effect_3___miranda_s_death_by_illogig-d6bo8o4Mention spéciale à l’artiste.

Mais plus que cela, le jeu vidéo se gargarise dans la Mort. Sous couvert de cette possibilité infinie de recommencer, quelque soit le triste sort réservé à notre personnage, c’est un immense défouloir à la bestialité humaine. Explosions, crash de voiture, combats à mort, balles dans la tête, ou tout simplement un compteur arrivé à zéro, le « Game Over » sanctionne chaque erreur de la manière la plus cruelle qui soit. Imaginez si, dans la vie, on vous exécutait à chaque objectif non atteint ? Voilà bien longtemps que l’Humanité aurait disparu !
Et tous ceux qui se dressent sur votre chemin ne méritent pas mieux ! Si on devait creuser une tombe pour chaque PNJ assassiné depuis l’histoire du jeu vidéo, on aurait commencé à creuser sur Mars et sur la Lune ! Le jeu vidéo nous donne le pouvoir divin de vie ou de mort, tout en vous mettant sur la sellette : vous risquez bien de subir le même sort que vos victimes, à un moment ou un autre ! Libre de blesser et de tuer tout en sachant que finalement, personne ne souffre, que tout cela n’a aucune conséquence, le joueur abandonne sa morale pour que celle-ci ne soit remplacée par rien d’autre que le gameplay imaginé par les game designer.

Et c’est finalement grâce à ce double tranchant qu’on n’assiste pas à tous les massacres que les détracteurs ignorants du jeu-vidéo veulent imputer à cet univers si cher à notre cœur. La possibilité de mourir à répétition dans ces jeux nous rappelle, subtilement, que la vrai vie n’acceptera aucun des débordements que nous nous permettons dans le jeu. Encore et encore, à chaque fois que notre personnage est étendu sur le sol, ces quelques lignes de codes répètent à notre esprit que ça pourrait être nous, mort pour de bon, si on se sentait l’envie d’agir comme dans le jeu. Comme si la menace de la répression était inhérente à l’espoir de liberté… Une idée un peu triste, quand on y repense, mais plus que nécessaire à la survie de notre espèce.
On peut ceci dit comprendre les craintes qui certaines personnes émettent. Comme nous l’avons dit, une partie d’un MMOFPS abaissent temporairement et subtilement les barrières de la morale, par la simple justification que tout ceci n’est pas réel. Il s’agit du même procédé par lequel un auteur de romans, bien sous tous rapports, efface temporairement ses règles morales pour créer le meurtrier psychopathe de son prochain thriller ! Sans ce procédé, jamais son personnage ne serait assez convaincant ! De la même manière, sans ce procédé, le joueur ne pourrait pas pleinement apprécier l’expérience de jeu. Vous imaginez, vous sentir dévoré par le remord à chaque mort que vous faîtes sur Call Of Duty ? Spinoza disait : “Le remords de conscience est une tristesse qui accompagne l’idée d’une chose passée qui s’est produite contre toute espérance”. Mais dans Call Of Duty, voir votre adversaire mort est l’incarnation une espérance : celle de voire votre compteur atteindre le maximum avant celui de votre adversaire, tout simplement. L’espérance n’est pas la Mort en elle-même, sinon nous aurions des armées de tueurs psychopathes sur les bras. Elle n’est que le moyen visuel d’atteindre notre espérance.

Mais effectivement, on pouvait craindre qu’un jour, un joueur, un auteur, ou créateur, n’importe qui ayant expérimenté ce processus, soit trop déséquilibré pour se souvenir d’élever à nouveau sa morale à un niveau socialement acceptable, une fois l’univers imaginaire quitté. Malheureusement, c’est tombé sur le jeu vidéo, et les médias ne s’en sont pas privé. Mais si ça avait été un auteur de polars à succès qui, à force d’imaginer des esprits psychopathes pour ses romans, avait grillé un fusible, en aurait-on déduit qu’écrire des romans, c’était dangereux? Heureusement, les joueurs sont des humains capables du minimum vital de réflexion pour éviter de tomber dans ce piège tragique.

assassins-creed-brotherhood-double-kill-screenshot

Mais revenons sur le concept que j’ai évoqué il ya quelques lignes : le pouvoir divin. On dit que le pouvoir rend fou, et ce n’est pas tout à fait faux dans le jeu-vidéo. Le sadisme dont peuvent parfois faire preuve à la fois les gamers et les développeurs fait peur à voir. Vous êtes allongés là, votre sniper en main, visant un ennemi sur un toit au loin. Il ne bouge pas, trop occupé à regarder ailleurs… Et vous vous en délectez. Vous savourez le temps que vous avez pour bien viser sa tête, assurez le HeadShot, au risque que finalement il bouge avant le coup de feu. Vous aimez cette sensation d’être hautement supérieur, d’être fort, investi du pouvoir de mort. Notre bon pote Aristote (oui ça rime, c’est fait exprès!) avait déjà développé cette idée, bien avant le jeu vidéo (QUOI? c’est pas les Spartiates qui ont inventé PacMan?). La catharsis était selon lui le principe selon lequel l’Homme, rempli de besoins violents et de fantasmes sadiques, allait assouvir ces derniers au théâtre, où la mort était régulièrement simulée, pour que ce besoin reste contrôlable dans sa vie quotidienne. Un peu comme la branlette devant un film X, quoi…

Le jeu vidéo aime la Mort. Il l’adule, s’en sert outrageusement dès qu’il le peut, certains jeux comme Rogue allant même jusqu’à vous priver de respawn et effacer définitivement votre personnage lorsque vous mourrez, pour vous faire jouer avec ses descendants, ou tout reprendre depuis le début. Mais dans son amour de la Mort, le jeu vidéo fait pourtant passer le message opposé : « Chérissez la vie. Vous, vous n’en n’avez qu’une. Vivez là correctement ! » En effet, le jeu vidéo nous donne UNE leçon d’une importance capitale, une leçon que l’on doit retenir plus que les autres : “Apprenez de vos erreurs”. Si l’on meurt, si l’on recommence, c’est pour ne pas faire la même connerie que la fois d’avant ! La mort est ici une sanction, équivalente à un blâme; une remontrance, une rupture ou un licenciement dans la vrai vie. En vous faisant mourir, le jeu vidéo veut que vous réussissez votre vie.

C’est tout pour cette fois. Pour notre prochain cours, nous parlerons d’un sujet déjà abordé aujourd’hui. Un sujet dangereux, et de ce fait, intéressant à étudier pour des philosophes tels que nous !
D’ici là je vous conseille d’étudier en profondeur l’ouvrage « la branlette intellectuelle pour les manchots », nous nous baserons dessus au cours du prochain chapitre !
Bonne journée à tous !

tJ5tReO_respawn-time-590x465

Facebook Twitter Pinterest Linkedin Tumblr Email

A propos de l'auteur :

Jarps

Jarps n'aiment pas l'IRL. Jarps préféreraient sentir le poids d'une armure sur ses épaules que celle d'un costard-cravate . Alors, Jarps s'évadent dans le multivers vidéo ludique qui remplit sa tête de rêves...(oui, tout les verbes sont au pluriel, on est plusieurs dans ma tête)

a écrit 41 autres articles sur Gam3-over.com.

Quelle section devrait être la plus enrichie?

Loading ... Loading ...

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Powered by WEBTeck © 2015 Gam3-over.com. Reproduction interdite. Tous droits réservés.