Chroniques


Au coin du feu #2 – Knights of the Old Republic

Rédigé par Louvellan       dans  Au coin du feu       21 Février 2014

Salut à vous, amis lecteurs ! C’est parti pour notre deuxième épisode de la série “Au coin du feu”. Cette fois-ci, je vais explorer en votre compagnie l’art de la narration à l’œuvre sur Star Wars : Knights of the Old Republic, un exemple remarquable d’écriture dans le jeu vidéo.

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Knights of the Old Republic, que nous appellerons KOTOR, à ne pas confondre avec Kotor qui est apparemment une ville très charmante du Monténégro, est un RPG développé par Bioware et sorti en 2003. Hé oui ! Bioware était déjà en activité il y a onze ans, avec leurs fondateurs originaux, Ray Muzyka et Greg Zeschuk, ces derniers ayant quitté la société l’année dernière. Pour ceux qui connaissent Mass Effect, sachez que l’influence de KOTOR s’y retrouve en de nombreux points. Structure du jeu, système de compagnons, choix moraux, hubs… Et bien sûr une écriture de très haute volée.
Graphiquement, KOTOR n’avait déjà rien d’impressionnant à sa sortie, et on ne peut pas dire qu’il ait bien vieilli. Les animations, particulièrement celles de combat rapproché, sont tout à fait correctes et relèvent le niveau, mais pour le reste, il est nécessaire de considérer le jeu avec bienveillance, comme un vieux berger allemand malodorant mais très gentil quand même. D’autant plus que pour son archaïsme (pas de marqueurs de quête, statistiques exprimées en jets de dés, fiches de perso complexes), le gameplay de KOTOR reste très poussé, riche et surprenant, à défaut d’être intuitif.

C'est surtout graphiquement que l'âge se ressent. Le gameplay n'a rien à envier aux productions récentes

C’est surtout graphiquement que l’âge se ressent. Le gameplay n’a rien à envier aux productions récentes

 
Il faut donc faire quelques efforts pour profiter de ce jeu à notre époque, mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. KOTOR est l’essence du RPG façon Bioware. Éprouvant, profond et enrichissant, avec peu d’égards pour la simplification. Ce qui peut être une bonne chose ; Mass Effect aurait selon moi énormément bénéficié d’être un peu plus pointu. Mais c’est un autre débat, sur lequel je reviendrai en temps voulu.

Voilà pour la présentation, très sommaire, du jeu. Ca se trouve pour pas un rond sur Steam et ça mérite le coup d’œil, tout particulièrement si vous avez aimé les jeux Bioware comme Dragon Age ou Mass Effect, ou que vous êtes un amateur de Star Wars. Passons à présent au vif du sujet !

 

Une galaxie lointaine, il y a très, très longtemps…

Le premier atout dans la manche de KOTOR est naturellement l’univers de Star Wars. Un jeu utilisant la franchise Star Wars sera soit un chef d’oeuvre, soit une production creuse uniquement destinée à faire du pognon sur le dos des fans (un cash grab, en Anglais), avec de rares exceptions tout juste moyennes. La recette est simple : si l’univers est bien retranscrit, et si le jeu y apporte quelque chose et ne se contente pas de faire du fan service, alors il y a de bonnes chances que le reste du jeu suive et qu’on ait affaire à quelque chose de majeur.
C’est indubitablement le cas de KOTOR.

Replaçons le contexte. Le jeu se situe 4000 ans avant la bataille de Yavin dépeinte dans l’épisode IV, et pour résumer, c’est le bordel.
La République, soutenue par le conseil Jedi, est aux prises avec les Sith, qui disposent d’une flotte gigantesque sortie d’on ne sait où, de nombreuses troupes et de Jedi noirs. La République perd peu à peu du terrain et les gens commencent à se dire que ses jours sont comptés et que les Siths, au fond, sont peut-être pas si mauvais.

L’armada Sith était d’abord conduite par Revan, ancien héros de guerre Jedi s’étant distingué pendant les Guerres Mandaloriennes survenues peu de temps auparavant, et son ami Malak. Dès le départ, le jeu tisse une toile de mystère autour de ces deux-là. Déjà, parce que Revan et Malak étaient, au départ, des types apparemment très bien sous tous rapports, des Jedi modèles, et qu’à leur retour des Guerres Mandaloriennes, après un voyage dans les Régions Inconnues, ils sont revenus, cette fois en conquérants Sith avec à leurs côtés la flotte et les troupes, Jedi et soldats, qui les avaient accompagnés en guerre.

Revan à gauche, Malak à droite, à l'époque des Guerres Mandaloriennes.

Revan à gauche, Malak à droite, à l’époque des Guerres Mandaloriennes.

 
Il s’est donc passé quelque chose de pas bien net là-bas, quelque chose qui a tout changé. Pas le temps de s’en occuper, puisque le jeu commence avec vous, le joueur, piégé dans un croiseur de la République attaqué par l’armada Sith. Il faut donc se tirer de là vite fait et apprendre ce qu’il se passe peu à peu au fil du temps. Là où KOTOR fait fort, c’est que le personnage qu’on joue est visiblement aussi paumé que le joueur. Il ignore ce qui se passe, n’a qu’une connaissance très vague des participants au conflit, et, selon les choix du joueur, n’est pas forcément très chaud à l’idée de jouer les pantins de la République. L’évacuation est réussie, et le joueur se retrouve sur la première d’une longue série de planètes, Taris, où il fait la connaissance de Carth Onasi, un soldat de la République et premier véritable compagnon d’une aventure qui est partie pour durer.

KOTOR emploie deux ficelles assez fréquentes en fiction. D’une part, le début in medias res, au milieu des choses. On prend le contrôle du personnage, tout pète de partout, il faut se dépêcher de se tirer, et on verra plus tard sur le pourquoi que les méchants y me tirent dessus. L’effet d’urgence est là, le tutoriel n’est pas trop intrusif, et le jeu distille astucieusement des indices pour comprendre ce qui se passe, comme ce sera le cas tout le long du jeu.

D’autre part, le type qu’on joue est comme pris d’amnésie. Il ne sait pas ce qu’il fout là, d’où il vient, pourquoi, bref, faut tout lui expliquer. L’occasion pour le joueur de se renseigner en même temps que son personnage sur les tenants et les aboutissants de la situation.

Et c’est une chose heureuse. KOTOR est un jeu au scénario à multiples couches, situé dans un univers qui bouge. Il y a eu la guerre d’Exar Kun, les Mandaloriens, les Siths… De nombreuses références sont faites au passé, et s’il n’est pas essentiel de se rappeler de tout pour avancer, avoir une vision d’ensemble des événements enrichit l’expérience de jeu à un point que j’ai rarement atteint dans d’autres titres.

 

Et Dark Vador dans tout ça ?

Dark Vador est pas là, le jeu se situant 4000 ans avant les films. Suivez un peu, bon dieu !
La question reste intéressante. Peut-on faire du Star Wars, si l’action se passe 4 millénaires avant la principale source d’information vis-à-vis de l’univers ?

Bioware s’y prend de façon assez ingénieuse. D’un côté, on ne se mouille pas trop. Il y a des sabre-lasers, des droïdes ressemblant à s’y méprendre à leurs homologues du cinéma, des vaisseaux dont le design rappelle juste assez ceux des films pour faire remarquer leur appartenance à l’univers Star Wars, mais assez différents pour ne pas crier à la copie… La technologie évolue lentement, dans Star Wars, mais elle évolue. C’est distillé de façon très subtile ; les droïdes ont l’air sensiblement plus archaïques que ceux vus dans les films, le bacta est remplacé par le kolto, et les détonateurs thermiques sont rares et chers, les grenades frag étant beaucoup plus répandues…

Outre la technologie, les conventions de l’univers Star Wars sont respectées. Le méchant, Darth Malak, a été conçu pour évoquer Dark Vador, tout en ayant sa propre personnalité. Comme Vador, Malak est grand et porte des prothèses cybernétiques, quoique bien moins intrusives que celles de son homologue. Le vaisseau du joueur, qui rappellera beaucoup le Normandy dans sa fonction de hub, est directement inspiré du Millenium Falcon… Les exemples sont très nombreux.

On croise régulièrement des éléments connus de l'univers Star Wars.

On croise régulièrement des éléments connus de l’univers Star Wars.

 
Dit comme ça, on pourrait craindre le copier-coller, mais il n’en est rien. Au contraire, le joueur amateur de Star Wars est en terrain connu (on visite des lieux célèbres comme Tatooine ou Kashyyyk), mais il y a tellement de différences, de nuances et d’originalité qu’on a bien l’impression de vivre notre propre aventure et de lever le voile sur une toute nouvelle partie de l’univers Star Wars, et non de revivre un pastiche du scénario des films.

La musique est un très bon exemple de ce que j’essaie de vous dire. Les thèmes sont riches et recherchés, proches, dans l’esprit, de la musique de John Williams, mais sans la copier non plus. Il arrive que certains thèmes des films soient employés dans la composition, mais c’est toujours subtil et bien mené. C’est de la musique façon Star Wars, qui ne vient pas des films. Une réussite qui a très rarement été vue depuis. Je pense notamment aux jeux Le Pouvoir de la Force, qui se contentaient en très grande partie de thèmes directement issus des films, ce qui faisait son petit effet mais témoignait aussi d’une grande fainéantise de la part des équipes artistiques.

Voici mon thème favori du jeu. Élégant et mélancolique, le thème de la Force très présent dans les films fait discrètement surface et se marie parfaitement bien avec le reste. C’est exactement ainsi que ça se passe dans tous les autres aspects du jeu.

 

Un rythme maîtrisé

J’en reviens au scénario, qui m’a coupé le souffle à plus d’une reprise. Vous vous souvenez de ce que je disais au sujet de Revan et Malak, les deux Siths faisant trembler la République ?
Peu après le début du jeu, on nous informe que Revan est tombé dans un piège tendu par la République et a été trahi par Malak qui s’est empressé de devenir calife à la place du calife.
Tout le long du jeu, Revan est laissé pour mort. Tout le monde le connaît, chacun a son mot à dire sur lui, notamment vos compagnons. La plupart ont déjà croisé sa route à différentes étapes de sa vie. Canderous, le guerrier mandalorien, lui porte une grande admiration pour ses exploits en tant que Jedi, qui ont permis à la République de sortir victorieuse des Guerres Mandaloriennes. A l’inverse, Carth, le soldat de la République, reproche à Revan d’être indirectement responsable de la mort de sa femme et d’avoir trahi ses idéaux.
Pendant tout le jeu, on présente au joueur divers éléments au sujet de Revan, bons et mauvais. Héros, sauveur, grand humaniste pour les uns, meurtrier sanguinaire, arriviste implacable et maniaque du pouvoir pour les autres… C’est au joueur de se former une opinion sur lui grâce aux témoignages recueillis peu à peu, au cours de sa quête pour arrêter Malak.

Et cette quête est fournie. On visite plusieurs mondes, on résout divers conflits, on intervient ici et là, on avance dans notre aventure… Pendant ce temps là, on tisse des liens avec nos compagnons (on peut en emmener deux avec soi à chaque sortie), qui vont réagir avec ce que vous faites, ainsi qu’entre eux. Bastila est ainsi une jeune Jedi très attentive au Code des Jedi, tandis que Carth est un soldat de la République pragmatique et loyaliste. Ils sont du même camp, mais ils ne voient pas leur tâche de la même façon, et il ne sera pas rare qu’ils se prennent le bec sur tel ou tel sujet. A vous de gérer la situation comme vous l’entendez…

Ces derniers ne se fondent pas dans les clichés habituels. Par exemple, monsieur gros bras, gros flingue de service, Canderous Ordo, peut laisser le joueur de marbre, tant il semble être le stéréotype même de la brute épaisse. Quelques conversations avec lui, et la rencontre avec un de ses anciens camarades de combat vont ébranler ses certitudes et faire naître des regrets en lui, et la volonté de vivre pour quelque chose de plus que la guerre. Mention spéciale au doublage d’ailleurs, exceptionnel tout le long du jeu, mais encore plus remarquable dans le cas de Canderous. D’ordinaire plutôt agressif et bourru, sa voix se brise lorsqu’il fait part au joueur de ses regrets et doutes, et on sent que le grand guerrier imperturbable est en fait très tourmenté et en quête de rédemption. Le type le plus intimidant de tout l’équipage est aussi le plus attendrissant de tous. Le genre de chose qu’on ne trouve guère hors de chez Bioware, malheureusement.

La galerie des compagnons. Chacun mérite le détour.

La galerie des compagnons. Chacun mérite le détour.

Et c’est là qu’intervient le gros twist du jeu, alors attention pour le bon gros spoiler bien phat.

Tard dans le jeu, alors que la résolution semble approcher et que Malak n’est plus très loin, le joueur apprend que Revan n’est pas mort. Il a en fait été reprogrammé par les Jedi suite à sa capture afin de lui conférer une nouvelle identité et de le ramener du côté clair de la Force. Un peu intrusif, mais ils sont comme ça, les Jedi, ils font ça pour vous aider.

Et en fait, Revan, c’est vous, le joueur. Votre compagnon Carth l’apprend de la bouche de son mentor devenu némésis, et prend assez mal la nouvelle, d’autant plus que Bastila était elle déjà au courant. Une grande question se pose alors au joueur. Faut-il redevenir Revan pour de bon, et inspirer la crainte et la peur au risque de rebasculer du côté obscur, ou s’en tenir à cette nouvelle identité et rester droit et juste ?
Le jeu y répondra de lui-même en fonction de votre alignement clair ou obscur, déterminé par vos actions et vos choix de conversation, le tout de façon très délicate. Cet alignement a de grandes répercussions sur le gameplay, mais aussi sur la façon dont vous êtes perçu par votre entourage, et va fatalement influencer la fin du jeu.

Votre alignement dans la Force aura des répercussions inévitables.

Votre alignement dans la Force aura des répercussions inévitables.

 

Une expérience marquante

Je suis ressorti impressionné de KOTOR. Le jeu est long et une première partie peut prendre 60 à 70 heures. Largement de quoi s’attacher à son personnage et à ses compagnons. Plus qu’un divertissement de qualité, qu’il est grâce à son gameplay très fin et varié, KOTOR est une expérience, une aventure qui laisse une marque exactement de la même façon qu’un long livre peut vous marquer. Contrairement à la majorité des jeux de nos jours, ça ne s’arrête pas une fois la dernière page tournée, d’autant que le potentiel de rejouabilité mérite au moins un second passage.

Bioware a été très astucieux quant à la continuité de l’histoire. Ainsi, si vous choisissez le nom de votre personnage au début, au final, on finira par vous appeler Revan, puisque c’est ce que vous êtes. Au lieu de jouer un énième parfait inconnu-devenant-surpuissant, le joueur connecte son histoire à celle de Revan pour en faire un personnage extrêmement riche et plein de nuances, ce qui est, encore une fois, peu fréquent dans les RPG de ce genre, où chacun a le sien avec sa petite destinée personnelle. Quels que soient les choix du joueur, Revan est passé à la fois par le côté clair et le côté obscur, pour se situer, dans le canon Star Wars, dans une zone de gris et d’ambiguïté morale, ce qui est à mon avis la position la plus intéressante qui soit pour un personnage, entre gentil et méchant. Revan tient ainsi une place importante dans le panthéon Star Wars malgré son statut de personnage contrôlé par le joueur, ce qui est une belle prouesse.

Revan, à gauche, fait désormais partie intégrante du canon Star Wars.

Revan, à gauche, fait désormais partie intégrante du canon Star Wars.

 
Il y aurait beaucoup plus à dire sur KOTOR et l’héritage qu’il laisse à Star Wars ainsi qu’au RPG en général, mais il me faut bien arrêter à un moment !
En guise de conclusion, un mot sur les suites. J’ai commencé KOTOR II il n’y a pas longtemps ; les deux jeux sont semblables en apparence, à ceci près que ce n’est plus Bioware à la barre, mais Obsidian. Et avec tout le respect dû à ces braves gars, cela se sent. Ce n’est pas la même finesse d’écriture, les répliques sont moins subtiles, l’univers n’est pas aussi bien exploité et le rythme me paraît plus pataud. Ceci dit, j’attendrai d’en voir plus avant de vous en dire davantage. Même chose pour le MMORPG The Old Republic… Pour lequel je nourris peu d’espoirs étant donné ma haine tenace du MMORPG (The Elder Scrolls Online, n’essaie même pas de m’adresser la parole). On me dit que TOR est loin d’être un KOTOR 3, mais qu’il se défend malgré tout très bien… Encore une fois, nous verrons ça en temps voulu.

Voilà pour ce deuxième épisode d’Au Coin du Feu ! Comme toujours, vos réactions, commentaires et digressions sont les bienvenus !

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A propos de l'auteur :

Louvellan

Quentin, 22 ans, rédacteur pour GO. Licencié en langue et civilisation anglophone, ancien khâgneux. Auteur freelance, directeur de Chanal CORP, auto-entreprise de rédaction sur commande.

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3 thoughts on “Au coin du feu #2 – Knights of the Old Republic

    Louvellan
    Louvellan il y a 10 années

    Oh, vous êtes adorables <3
    Je pense que dans l'avenir, j'ouvrirai une boîte à suggestions pour les prochains jeux qui seront victimes de mon ire ! :D

    Le Matou
    Le Matou il y a 10 années

    Encore une histoire papy Louvellan !

    Cyber Bulbizarre
    Cyber Bulbizarre il y a 10 années

    Je me suis assise au coin du feu et j’ai pas pu décoller. Merci, j’attends déjà la prochaine séance :D

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